Affaire Vincent Lambert le feu vert donne par la CEDH

AFFAIRE VINCENT LAMBERT :

LE FEU VERT DONNE PAR LA CEDH

 

CEDH, Grande chambre, 5 juin 2015, requête n° 46043/14, affaire Lambert et autres c. France

Le 5 juin 2015, la CEDH a validé la décision d’arrêt des soins et des traitements prodigués depuis plus de 7 ans à Vincent Lambert. Elle donne raison au Conseil d’État qui avait considéré comme un « traitement » l’alimentation et l’hydratation par sondes et admis qu’il était possible de les suspendre en cas « d’obstination déraisonnable ».

 

Mots clef : Loi Leonetti – Fin de vie – obstination déraisonnable – état de coma pauci-relationnel – consentement – directives anticipées – arrêt des traitements (nutrition et hydratation).

Pour se repérer

Vincent Lambert, jeune homme de 38 ans, accidenté de la route en 2008, est en état pauci-relationnel, autrement dit dans un état de conscience minimale, aussi la décision d’arrêter toute nutrition et hydratation a-t-elle été prise en 2013 par un médecin du CHU de Reims, après une procédure collégiale menée dans le respect de la loi Leonetti du 22 avril 2005. Incapables de se résigner à voir mourir leur fils, ses parents ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, lequel a, le 11 mai 2013, ordonné l’arrêt du protocole médical, toute la famille n’ayant pas été impliquée dans la décision. Une nouvelle procédure collégiale médicale faite dans les règles a conduit en janvier 2014 à un nouvel arrêt de la nutrition et de l’hydratation cependant les parents ont introduit une requête devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui a suspendu l’exécution de la décision médicale. L’épouse de Vincent Lambert et un neveu ont alors saisi le Conseil d’Etat qui a décidé en référé le 6 février 2014 de renvoyer l’affaire devant sa formation plénière. Le 24 juin 2014, après s’être entouré d’avis et d’expertises, le Conseil d’Etat a conclu que la décision du médecin de mettre fin à l’alimentation et à l’hydratation artificielles ne pouvait pas être tenue pour illégale, la procédure suivie ayant été régulière. Il semblait alors que Vincent Lambert allait être débranché une nouvelle fois, cependant, ses parents ont choisi de saisi la Cour européenne des droits de l’homme dès juin 2014. Dans une décision rendue le 4 novembre, il a été convenu de réunir la Grande Chambre de la CEDH, sa compétence semblait évidente dans un tel domaine qui touche à des questions médicales, juridiques et éthiques de la plus grande complexité.

Pour aller à l’essentiel

Après deux ans de procédures judiciaires et de divisions familiales, la Grande Chambre de la Cour EDH signe un épilogue qui va anéantir tous ceux qui s’opposent à la programmation de la fin de vie. Le Conseil d’Etat avait autorisé qu’il soit mis fin à une obstination déraisonnable s’agissant d’une personne pour laquelle les experts sollicités s’étaient accordés à dire qu’elle était incurable et que son état ne pourrait jamais s’améliorer (CE 24 juin 2014, n° 375081, D. 2014. Jur. 1856, note D. Vigneau, et 2021, Pan. A. Laude ; JCP G 2014, note 825 ; D. Broussolle, L’aide à la mort. À qui, de dire le droit ?, JCP G 2014, act., 552 ; V. déjà TA Châlons-en-Champagne, 16 janv. 2014, n° 1400029, JAC n° 140, janv. 2014, obs. Corpart I. ; D. 2014. Actu. 149, obs. F. Vialla). Partant, il avait autorisé les médecins à cesser de l’alimenter et de l’hydrater. C’est cette décision qui est validée par la Cour EDH qui conclut « qu’il n’y aurait pas violation de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, régissant le droit à la vie, en cas de mise en œuvre de la décision du Conseil d’Etat autorisant l’arrêt des soins ». Les juges relèvent « qu’il n’existe pas de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe pour permettre l’arrêt d’un traitement maintenant artificiellement la vie. Dans ce domaine qui touche à la fin de la vie, il y a lieu d’accorder une marge d’appréciation aux États » (sur la question, D. Truchet, L’affaire Lambert, AJDA 2014. 1669). Selon eux, la loi Leonetti est suffisamment claire et elle encadre « de façon précise la décision du médecin dans une situation telle que celle-ci ». Il n’y a dès lors pas lieu de modifier la position prise par le Conseil d’Etat qui s’est bien conformé au cadre législatif applicable en France depuis 2005 et s’est efforcé de rechercher la volonté de Vincent Lambert, dans tout protocole, le patient demeurant « le sujet et acteur principal », la difficulté venant ici de son incapacité à s’exprimer et de l’absence de directives anticipées ou de désignation d’une personne de confiance.

Pour aller plus loin

Entre acharnement médical et acharnement juridique, l’affaire Vincent Lambert, très médiatisée a amené à s’interroger sur le sort des personnes en état végétatif et sur les décisions qui peuvent être prises par le corps médical en concert avec les familles. Toute le débat découlait ici du fait que, si Mme Lambert, arguant de ce que son époux n’aurait jamais accepté de continuer à vivre en étant dans un tel état de coma pauci-relationnel, ses parents étaient d’un avis diamétralement opposés. Pour se faire entendre, ces derniers se sont efforcés de suivre toutes les pistes leur permettant d’interdire aux médecins de poursuivre dans cette voie. Ils ont dès lors saisi la Cour EDH qui vient de donner raison au médecin du CHU de Reims, conforté par de nombreuses expertises et avis rendus par des autorités médicales et éthiques . D. Broussolle, L’aide à la mort. À qui, de dire le droit ? : JCP G 2014, act., 552 ; JCP A 2014, 2283 ; JCP A 2014, 2284). Selon elle, le droit français qui encadre le protocole à suivre et exige une décision collégiale est bien conforme aux exigences posées par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Rappelons que pour les juges, les Etats membres se voient accorder une marge d’appréciation pour tout ce qui touche à la fin de vie.

L’affaire n’en est pas terminée pour autant car il faut à présent prendre une nouvelle décision d’arrêt du traitement dans la mesure où le médecin qui avait engagé la procédure collégiale de fin de vie au CHU de Reims, le Dr Eric Kariger, a quitté l’établissement. Les parents de Vincent Lambert ont en effet fait savoir qu’ils exigeront une nouvelle décision collégiale et feront des recours le cas échéant.

Quoiqu’il en soit, il est délicat d’anticiper en la matière – même si on ne doute pas que le processus décisionnel sera mené de manière méticuleuse – car il n’est plus possible de se positionner sereinement dans un débat au cœur de l’actualité médiatique et qui divise sur des questions d’humanité et alors que la réforme en cours en matière de fin de vie a lancé de nouveaux interrogations autour de l’euthanasie.

Toutefois, s’il faut attendre de réformer la loi Leonetti, le sort de Vincent Lambert ne sera pas fixé avant longtemps !

L’arrêt est disponible ICI et le communiqué de presse qui l’accompagnait LA.