Accusations de publicité mensongère pour le nucléaire alsacien
Mots-clés
Electricité de France (EDF) – Associations de protection de l’environnement – Jury de déontologie publicitaire (JDP) – Publicité mensongère – Développement durable – Sûreté nucléaire – Centrale de Fessenheim.
Pour se repérer
Le 28 mai 2015, cinq associations de protection de l’environnement ont déposé devant le Jury de déontologie publicitaire une plainte contre Electricité de France (EDF) qui affirme, sur le site Internet « EDF Alsace », produire dans la région une électricité « 100% sans CO2 ». Les requérants soutiennent que cette communication contrevient à plusieurs recommandations relatives au développement durable telles que définies par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) et sanctionnées par le Jury de déontologie publicitaire (JDP).
Pour aller à l’essentiel
C’est en juin 2008 que le Bureau de vérification de la publicité (BVP) a modifié ses statuts pour laisser place à l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). L’ARPP est assistée de trois instances : le Conseil de l’éthique publicitaire, le Conseil paritaire de la publicité et le Jury de déontologie publicitaire. La mission du JDP consiste à statuer, au regard des règles déontologiques de la profession, sur les plaintes de toute personne physique ou morale à l’encontre des publicités diffusées. Il prononce des sanctions allant jusqu’à la demande de cessation immédiate de diffusion du message publicitaire et la publication d’un encart dans la presse.
Le 28 mai dernier, une plainte a donc été déposée devant le JDP par le Réseau « Sortir du Nucléaire », Alsace Nature, le Comité de Sauvegarde de Fessenheim et de la Plaine du Rhin, Stop Fessenheim ainsi que Stop Transports – Halte au Nucléaire (cf. la plainte sur le site http://www.sortirdunucleaire.org/IMG/pdf/plainte_jdp_pub_edf_alsace_annexe-2.pdf). Les requérants considèrent qu’une infographie sur « les chiffres clés du Groupe EDF en Alsace » publiée depuis janvier 2011 sur le site Internet d’EDF Alsace (http://alsace.edf.com/edf-en-alsace/edf-en-chiffres/) méconnaît les règles de déontologie publicitaire. Cette image a pour but de présenter l’impact économique, social et environnemental d’EDF en Alsace, rappelant le rôle d’acteur économique central joué par la société dans la région (nombres de clients, d’emplois créés, de communes desservies par le réseau de distribution). La plainte vise principalement la deuxième partie de l’image, présentant la part, pour 60%, de l’énergie liée à l’exploitation nucléaire et la place, à 40%, de l’électricité d’origine renouvelable (centrales hydroélectriques, source géothermique) dans la région.
Les associations fondent leur requête sur le bandeau central en couleur orange – visuellement attractif – qui annonce « 100% d’électricité produite sans émission de CO2 en Alsace ». Dans la plainte, il est contesté que l’électricité produite par EDF soit totalement décarbonnée et que l’énergie d’origine nucléaire (affichée en bleu) soit présentée sur un pied d’égalité avec l’énergie renouvelable (présentée en vert). Selon les plaignants, « EDF cherche à cacher les dysfonctionnements récurrents à Fessenheim d’un coup de peinture verte, par la publication d’une infographie publicitaire présentant sa production d’électricité en Alsace comme ‘‘durable’’ ». Avec ses visuels bleus et verts, le groupe viserait à « recycler les codes traditionnellement associés au ‘‘développement durable’’ pour se présenter comme un acteur local responsable, un employeur modèle et une entreprise ‘‘verte’’ » (« Greenwashing à Fessenheim : le Réseau ‘‘Sortir du nucléaire’’ et quatre associations alsaciennes portent plainte devant le Jury de déontologie publicitaire », Communiqué commun du Réseau ‘‘Sortir du nucléaire’’, Alsace Nature, Comité de Sauvegarde de Fessenheim et de la Plaine du Rhin, Stop Fessenheim, Stop Transports-Halte au Nucléaire, 28 mai 2015, http://www.sortirdunucleaire.org/Greenwashing-Fessenheim).
EDF souhaiterait donc faire passer auprès du public l’image d’une entreprise éco-responsable grâce à une production d’électricité sans émission de gaz à effet de serre. Elle se livrerait à une entreprise de greenwashing (aussi appelé « blanchiment écologique », « éco-blanchiment » ou « désinformation verte ») consistant à « verdir » son identité, à donner à voir à l’opinion publique une image écologiquement responsable à des démarches ou des produits qui ne le sont pas (ADEME, Guide anti-greenwashing, http://antigreenwashing.ademe.fr/sites/default/files/docs/ADEME_GREENWASHING_GUIDE.pdf). Les cinq associations de protection de l’environnement souhaitent que le JDP « ne laisse[ra] pas passer la communication mensongère d’EDF », illustration selon elles d’un « greenwashing éhonté » (communiqué commun précité, 28 mai 2015). Ce message publicitaire contreviendrait à plusieurs recommandations déontologiques en matière de développement durable définies par l’ARPP et sanctionnées par le JDP.
En utilisant les couleurs bleue et verte, en soulignant l’absence d’émission de CO2, la publicité d’EDF donne à penser que l’exploitation nucléaire est favorable à l’environnement, qu’elle se situe sur le même plan que l’électricité d’origine renouvelable quant aux impacts environnementaux. La page consacrée au mix énergétique énonce que « 100% des 20 milliards de kWh d’électricité produits en Alsace par EDF le sont sans émission directe de gaz à effet de serre ». Le groupe précise que le mix énergétique, c’est « 60% d’origine nucléaire et 40% est d’origine renouvelable, essentiellement issue de l’énergie hydraulique » (« Mix énergétique : une production 100% sans émission directe de gaz à effet de serre », publié le 26 octobre 2010, http://alsace.edf.com/mix-energetique/).
Le message est dépourvu d’éléments d’information qui permettraient au public de comprendre pourquoi 100% de l’électricité produite par la centrale de Fessenheim, les douze centrales hydroélectriques le long du Rhin et le site de géothermie profonde de Soultz-Sous-Forêts seraient sans émission de CO2. Ce défaut de clarté du message constituerait un manquement aux recommandations de l’ARPP pour ce qui concerne le développement durable.
Selon les plaignants, la publicité est également contraire aux recommandations de véracité des actions et de loyauté en créant sciemment un état de confusion et en induisant le public, et plus particulièrement le consommateur, en erreur : « outre que cette publicité crée un amalgame malhonnête en mettant sur le même plan nucléaire et renouvelables, cette affirmation est tout simplement fausse ». D’une part, le nucléaire n’est pas une énergie renouvelable. D’autre part, « il n’existe aucune activité industrielle exempte de rejets de gaz à effet de serre » (communiqué commun précité, 28 mai 2015). Les requérants s’appuient sur plusieurs études qui auraient démontré que la production moyenne en CO2 de l’électricité nucléaire est d’environ 66g de CO2/kWh, avec des pics à 288g de CO2/kWh.
La publicité dénote un défaut de proportionnalité du message dans la mesure où elle présente les qualités écologiques sans évoquer les conséquences négatives sur l’environnement. Or la production d’électricité a toujours un impact environnemental qui ne se limite d’ailleurs pas aux émissions de CO2.
Pour aller plus loin
Se concentrer sur la phase d’exploitation marginalise les coûts générés en amont de l’industrie nucléaire (extraction de l’uranium, transformation) et en aval avec le traitement des déchets – particulièrement ceux à vie longue –, les rejets radioactifs et chimiques, les risques d’accidents majeurs et les incidents récurrents.
Le fonctionnement de la centrale de Fessenheim au début de l’année 2015 illustre particulièrement ce dernier point. Le 28 février, EDF annonçait la mise à l’arrêt du réacteur n°1, officiellement suite à un « défaut d’étanchéité » d’une tuyauterie. En réalité, 100 m3 d’eau se sont répandus consécutivement à une rupture de tuyau, se déversant sur des boîtiers électriques et provoquant un défaut d’isolement du tableau électrique. Le 5 mars, le système était remis en service sans évaluation préalable des causes de la rupture initiale et de ses impacts. Immédiatement, la tuyauterie se rompait à nouveau, en présence même des inspecteurs de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), en raison d’une « fatigue vibratoire ».
Le 15 avril, à l’occasion de la présentation du rapport annuel de l’ASN devant l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques, son président a critiqué la communication d’EDF sur ces incidents en la qualifiant de « décalée » et en s’inquiétant de « l’empressement à vouloir redémarrer le réacteur » (communication de Pierre-Franck Chevet, http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-oecst/14-15/c1415064.asp). Une semaine plus tard, plusieurs associations antinucléaires alsaciennes soutenues par le Réseau « Sortir du nucléaire » déposaient plainte au TGI de Colmar contre l’exploitant EDF et le directeur de la centrale de Fessenheim pour engager leurs responsabilités suite aux fuites de février et mars (« Fuites d’eau en série et mensonges à la centrale de Fessenheim : les associations antinucléaires alsaciennes et le Réseau ‘‘Sortir du nucléaire’’ portent plainte », Communiqué commun du Réseau ‘‘Sortir du nucléaire’’, Stop Fessenheim, Stop Transports-Halte au Nucléaire, Comité pour la Sauvegarde de Fessenheim et de la Plaine du Rhin, Alsace Nature, Réseau Fukussenheim et Les Citoyens Vigilants des environs de Fessenheim, 21 avril 2015, http://www.sortirdunucleaire.org/Fuites-d-eau-en-serie-et-mensonges-a-la-centrale).
Fin janvier 2011, des particuliers et l’association « Sortir du nucléaire » avaient déjà déposé une plainte auprès du JDP pour un spot d’AREVA qui s’achevait par le slogan « l’énergie est une histoire qui n’a pas fini de s’écrire. Continuons de l’écrire avec moins de CO2 ». AREVA était à l’époque poursuivie pour ne pas avoir tenu compte des recommandations de l’ARPP sur le développement durable en suggérant que l’activité de la société n’aurait pas d’impact sur l’environnement. Dans sa décision, le JDP observait que le message n’affirmait à aucun moment que la production nucléaire ne présente nul impact négatif sur l’environnement. De plus, il renvoyait au site internet de la société, lequel décrit toutes les autres activités du groupe, notamment dans le domaine minier ou celui du traitement des déchets. En conséquence, la plainte avait été rejetée par le JDP le 18 février 2011. Sans préjuger du verdict du jury, on notera simplement la proximité des arguments exposés par les cinq associations requérantes dans le cas de la promotion des activités d’EDF en Alsace.
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