L’amiante, dont l’utilisation est seulement interdite en France depuis le 1er janvier 1997 (décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 relatif à l’interdiction de l’amiante, pris en application du code du travail et du code de la consommation), alors que sa dangerosité est connue depuis le début du 20ème siècle, continue à produire ses effets dévastateurs sur la santé. Les drames humains que l’exposition à cette fibre rocheuse a provoqués a amené à la publication de récents textes législatifs, au prononcé de décisions de justice (II) et à la diffusion d’analyses mais aussi de rapports (III).
I. L’actualité législative récente
Signalons l’article 3 de la loi du 24 mars 2014 (loi n° 2014-366 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové,JORF n°0072 du 26 mars 2014 page 5809 et s.) selon lequel le contrat de location établi par écrit entre le bailleur et le locataire, au moment de la conclusion du contrat ou de son renouvellement, contient entre autres mentions ou dispositions obligatoires « Une copie d’un état mentionnant l’absence ou, le cas échéant, la présence de matériaux ou produits de la construction contenant de l’amiante ». C’est bien le minimum que l’on puisse offrir au locataire, sans naturellement que cela le protège d’une exposition aux poussières d’amiante puisque le désamiantage, seule solution efficace, extrêmement couteux car exigeant le respect de contraintes sévères, apparaît comme une solution ultime mais d’application non systématique (cfDécret n° 2012-639 du 4 mai 2012 relatif aux risques d’exposition à l’amiante, JORF n°0106 du 5 mai 2012 page 7978 et s.).
La solution adoptée dans la loi du 24 mars 2014 constitue d’ailleurs le pendant, qui manquait jusqu’à présent, de l’obligation pesant sur le propriétaire vendeur de faire réaliser un repérage des matériaux et produits contenant de l’amiante lors d’une vente d’immeuble. En effet, quelle logique y avait-il à imposer pareille démarche à la charge du propriétaire et au profit de l’acquéreur alors qu’elle ne s’imposait pas au bailleur dans l’intérêt du locataire puisque dans les deux cas, le bien vendu ou loué allait être destiné à recevoir des personnes risquant ainsi, sans le savoir, d’inhaler des poussières d’amiante ? Ainsi, plutôt que d’imposer un désamiantage obligatoire et généralisé (dont la mise en œuvre peut d’ailleurs paraître impossible sinon difficilement réalisable), les pouvoirs publics ont préféré s’inscrire dans une démarche moins couteuse et plus facile à imposer : l’information préalable à la conclusion d’un contrat de vente ou d’un contrat de bail. Les esprits chagrins feront d’ailleurs remarquer qu’il s’agit ainsi de continuer à faire peser sur les propriétaires (particulièrement à l’occasion d’une vente où le diagnostic amiante, notamment, conditionne la vente, dont le coût financier est loin d’être négligeable) le poids d’erreurs et même de fautes commises par les pouvoirs publics ayant refusé de voir, à compter du moment où de multiples études le laissaient entendre, la réalité en face et l’extrême dangerosité de l’amiante.
Le spécialiste sur que nous avons rencontré sur ce dossier est Maitre André Chamy se référer à son site : Avocat Mulhouse et son article : Dossier Alstom amiant
II. Les nouvelles décisions de justice
Il convient, tout d’abord, de mentionner les décisions rendues par la chambre sociale de la Cour de cassation le 2 avril 2014 (n° de pourvoi: 12-29825) et par un arrêt rendu le 2 juillet 2014 (n° de pourvoi: 12-29788 12-29789 12-29790 12-29791 12-29792 12-29793 12-29794 12-29795 12-29796 12-29797 12-29798 12-29799 12-29800 12-29801). Ces arrêts s’inscrivent totalement dans la jurisprudence récente de la chambre sociale de la haute juridiction. Ainsi, par touches successives, les juges du quai de l’Horloge adoptent des positions de plus en plus favorables aux victimes, salariées d’entreprises dans lesquelles était manipulée de l’amiante.
En effet, c’est en 2002 que la Cour de cassation a consacré une obligation de sécurité de résultat dont la violation par l’employeur constitue une faute inexcusable (Cass, soc., 28 février 2002, n° de pourvoi 00-13177 :« en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise. Le manquement de l’employeur à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L.452-1 du Code de la Sécurité Sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver »). Dès lors que l’exposition à l’amiante et la maladie sont établies, le lien de causalité est présumé, la force majeure constituant alors la seule cause d’exonération de l’employeur.
Puis, dans un arrêt regroupant plusieurs pourvois, rendu en 2010, la chambre sociale a retenu le préjudice spécifique d’anxiété tenant pour « les salariés, qui avaient travaillé dans un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi de 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante » de se trouver dans la « situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante et étaient amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse » « par le fait de l’employeur »(Cass., social, 11 mai 2010, n°de pourvoi: 09-42241 09-42242 09-42243 09-42244 09-42245 09-42246 09-42247 09-42248 09-42249 09-42250 09-42251 09-42252 09-42253 09-42254 09-42255 09-42256 09-42257). Comment interpréter alors l’analyse de la Cour de cassation ? L’emploi de la conjonction de coordination « et » paraît impliquer, d’emblée, que les victimes de poussières d’amiante, parce qu’elles ont travaillé dans des entreprises utilisant de l’amiante peuvent développer un sentiment d’inquiétude constante face au risque de développer une maladie liée aux poussières d’amiante. Mais, cela n’est pas suffisant puisqu’il faudrait, en outre, que la réalisation d’examens médicaux ait eu lieu. Ainsi, la découverte d’un préjudice spécifique d’anxiété exigerait une double condition semblant dès lors ne pas faciliter la reconnaissance d’un pareil préjudice par le juge judiciaire. Néanmoins, une autre interprétation peut être avancée. La Cour de cassation ne semble–t-elle pas affirmer que le préjudice d’anxiété existe dès lors que l’on a travaillé dans une entreprise ayant utilisé de l’amiante, la réalisation d’examen médicaux pouvant seulement faire ressurgir cette anxiété ? Nous aurions tendance à retenir cette deuxième approche, moins contraignante pour les victimes puisqu’elles pourraient obtenir réparation soit parce qu’elles ont travaillé dans un milieu professionnel où a été utilisée de l’amiante soit parce qu’elles ont fait l’objet de contrôles et d’examens médicaux réguliers ayant révélé leur anxiété.
Dans un arrêt du 4 décembre 2012, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que le préjudice spécifique d’anxiété était avéré à l’égard d’un salarié, ayant travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel,qu’il« se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers…» (Cass., social, n° de pourvoi : 11-26294).Ainsi,selon la Cour de cassation, suivant en cela la démonstration retenue par la cour d’appel de Caen, l’apparition du préjudice spécifique d’anxiété n’est pas conditionnée systématiquement par la réalisation de contrôles médicaux, pouvant ainsi apparaître à la suite de ceux-ci ou surgir sans que de tels examens aient eu lieu… Cette solution est très favorable aux victimes avérées de poussières d’amiante, dès lors naturellement qu’elles ont apporté la preuve de leur exposition.
Dans les arrêts rendus en avril et juillet 2014, la chambre sociale de la Cour de cassation va encore plus loin dans l’intérêt des salariés victimes. Dans le premier arrêt du 2 avril (n° de pourvoi: 12-29825), elle casse et annule la solution adoptée par la cour d’appel de Lyon selon laquelle « les intéressés ne versent ni document objectif ni témoignage de tiers sur leur anxiété, qu’aucun salarié n’évoque ses conditions d’existence et n’apporte d’élément sur un changement de ses conditions d’existence et qu’ils ne rapportent donc pas la preuve qui leur incombe d’un sentiment d’anxiété ni d’une modification des conditions d’existence ». Ainsi, pour la chambre sociale de la Cour de cassation, la constatation que « les salariés avaient travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante » suffit à leur permettre de « prétendre à l’indemnisation d’un préjudice d’anxiété réparant l’ensemble des troubles psychologiques induits par l’exposition au risque ». Dans le second arrêt du 2 juillet 2014 (n° de pourvoi: 12-29788 12-29789 12-29790 12-29791 12-29792 12-29793 12-29794 12-29795 12-29796 12-29797 12-29798 12-29799 12-29800 12-29801), la Cour de cassation rejette l’argumentation présentée par les auteurs du recours en cassation selon lesquels « s’agissant du préjudice d’anxiété, il appartient à l’ancien salarié d’établir, au moins, par des éléments concrets et tangibles, qu’il se trouve personnellement, par le fait de l’employeur, dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante ; qu’en se bornant à retenir qu’il était parfaitement compréhensible que compte tenu de la présence de l’ancien salarié dans une entreprise concernée par le dispositif de l’ACAATA, l’ancien salarié soit confronté à une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante, sans autre justification, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard l’article 1147 du code civil ». La chambre sociale valide ainsi l’analyse de la cour d’appel d’Aix-en-Provence (« les salariés, qui avaient travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’ amiante, se trouvaient, de par le fait de l’employeur, dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante, qu’ils se soumettent ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers, a ainsi, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, caractérisé l’existence d’un préjudice spécifique d’anxiété; que le moyen n’est pas fondé »).
De son côté, le juge administratif renforce sa jurisprudence. Dans un jugement rendu par le tribunal administratif d’Orléans le 15 mai 2014 par lequel, il a reconnu l’Etat responsable d’une faute pour ne pas avoir édicté des mesures efficaces de protection des travailleurs contre l’inhalation de poussières d’amiante. A priori, cette solution n’est pas nouvelle puisqu’elle s’inscrit dans la ligne tracée par le Conseil d’Etat depuis 4 arrêts retentissants rendus le 3 mars 2004 (C.E., Ass., 3 mars 2004, n°241150, n°241152, n°241153, n°241151, lire « Amiante : la responsabilité de l’Etat est, enfin, reconnue par le Conseil d’Etat », Dalloz, 2004, p. 973 et s.). En effet, il y a désormais plus de 10 ans, les juges du Palais Royal reconnaissaient, pour la 1ère fois, la responsabilité pour faute de l’Etat, suivant en cela les juridictions inférieures (le tribunal administratif de Marseille et la cour administrative d’appel de Marseille). Pour le Conseil d’Etat, d’une part, les autorités publiques « n’avaient entrepris, avant 1977, aucune recherche afin d’évaluer les risques pesant sur les travailleurs exposés aux poussières d’amiante, ni pris de mesures aptes à éliminer ou, tout au moins, à limiter les dangers liés à une telle exposition…» (C.E., Ass., 3 mars 2004, n°241150 et n°241152, et d’autre part « si des mesures ont été prises à partir de 1977 pour limiter les risques que faisait courir aux travailleurs l’inhalation de poussières d’amiante, il n’est pas établi que ces mesures aient constitué une protection efficace pour ceux qui, comme M. E…, travaillaient dans des lieux où se trouvaient des produits contenant de l’amiante, d’autre part, qu’aucune étude n’a été entreprise avant 1995 pour déterminer précisément les dangers que présentaient pour les travailleurs les produits contenant de l’amiante, alors pourtant que le caractère hautement cancérigène de cette substance avait été confirmé à plusieurs reprises et que le nombre de maladies professionnelles et de décès liés à l’exposition à l’amiante ne cessait d’augmenter depuis le milieu des années cinquante… » (C.E., Ass., 3 mars 2004, n°241153 et n°241151).
Mais, là où réside la nouveauté du jugement du 15 mai 2014 c’est qu’il ne s’agit pas, comme en 2004, d’une action des victimes ou de leurs ayant droits contre l’Etat, mais d’une action menée par la société Lathy International. En effet, celle-ci avait été condamnée par la cour d’appel de Versailles, en octobre 2012 (n°1/02868), à verser à la famille du défunt (engagée par la Société Lathy International le 21 octobre 1973, il avait quitté cet emploi le 31 janvier 1989, le 14 février 2008 il faisait établir une déclaration de maladie professionnelle pour un cancer broncho-pulmonaire, accompagné d’un certificat médical du même jour faisant état de son exposition à l’amiante, il est décédé le 15 octobre 2008) 167 000 euros, en réparation des préjudices subis, ainsi que 544 585 euros correspondant au versement d’une rente liée à la maladie professionnelle pour faute inexcusable. Le juge d’appel avait estimé que la société n’avait pas pris les mesures nécessaires pour préserver son salarié des poussières d’amiante. La démarche de la société est empreinte d’une logique juridique imparable puisque les arrêts du Conseil d’Etat rendus en 2004 avaient retenu justement la responsabilité de l’Etat pour faute dans ses missions de protection des « travailleurs ». Il paraît ainsi cohérent qu’une société condamnée au titre d’une faute inexcusable tenant à l’exposition de ses salariés à des poussières d’amiante puisse agir en garantie contre l’Etat en charge de l’édiction des mesures nationales de protection des travailleurs salariés. On peut, de même, imaginer que des personnes publiques employant des agents publics agissent dans le même but… Le tribunal administratif d’Orléans a fait droit à la demande de la Société Lathy International en jugeant que « l’État a fait montre de carences dans la prévention des risques liés à l’exposition des travailleurs aux poussières d’amiante et a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité ». Mais, le juge de première instance retient que la Société Lathy International « ne pouvait, pas plus que l’État, ignorer les dangers d’une telle exposition », et ainsi que cette dernière « a également concouru pour moitié à la réalisation des conditions ayant conduit à la maladie professionnelle, dont est décédé le salarié ». En conséquence, l’Etat est condamné à verser une somme de 127 330 euros à la société requérante.
On peut toutefois s’interroger sur la clé de répartition de la part de responsabilité adoptée par le tribunal administratif. En effet, ne peut-on pas contester ce partage égal dans la réalisation des conditions de survenance du préjudice. Car, si l’Etat avait efficacement exercé sa mission de prévention à l’égard des salariés, les entreprises auraient dû mettre en œuvre les mesures de protection et, dans le cas contraire, auraient été jugées entièrement responsables des conséquences de ce non-respect des règles étatiques ? Mais ici, comment admettre que la société Lathy International soit jugée responsable pour moitié puisque justement, en amont et dans le cadre d’une politique préventive, l’Etat est resté inactif ? Ne devrait-on pas alors considérer que la part de responsabilité à la charge de l’Etat devait être supérieure à la moitié ? Sans doute, le juge administratif tient-il compte justement de la faute inexcusable de l’employeur retenue par les juridictions judiciaires en application de la solution adoptée par la Cour de cassation le 28 février 2002 rappelée plus haut…
III. Les rapports et autres notes récents
Mentionnons, d’abord, un rapport publié par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), en juin 2014, ayant pour titre : « Repérage de l’amiante, mesures d’empoussièrement et révision du seuil de déclenchement des travaux de retrait ou de confinement de matériaux contenant de l’amiante. Analyse et recommandations » (www.hscp.fr). Depuis le décret du 7 février 1996 (n°96-97 relatif à la protection de la population contre les risques sanitaires liés à une exposition à l’amiante dans les immeubles bâtis, JORF n°33 du 8 février 1996 page 2049 et s.), la valeur repère pour la gestion du risque amiante à ne pas dépasser à l’intérieur des locaux et qui sert de seuil de déclenchement de travaux est fixée à 5 fibres d’amiante par litre d’air (f/L). Au titre de la refonte de la partie réglementaire du Code de la santé publique, relative à l’amiante, le HCSP a été saisi, le 6 janvier 2010, au sujet de la définition d’un nouveau seuil de déclenchement des travaux de retrait ou de confinement de matériaux amiantés. La conclusion qui l’emporte à la fin de ce rapport est pleine de bon sens. En effet, « La valeur proposée d’abaissement du seuil de déclenchement de travaux n’a de sens que si les recommandations et préconisations listées plus haut sont mises en œuvre en amont et notamment la suppression des listes de matériaux non exhaustives à repérer, ce qui implique l’application des mêmes règles quel que soit le type de matériaux, l’amélioration de la qualité des repérages, des prélèvements et des mesures. L’abaissement du seuil seul n’apporterait aucun impact réel… Le HCSP recommande fortement, et dans les plus brefs délais, l’application des mesures portant sur les pratiques de repérage et mesurage, de mise en œuvre des travaux, de gestion des déchets amiantés et des situations d’exposition d’origine environnementale qu’il décrit en détail dans le présent rapport. Ces conditions remplies, le HCSP propose pour le seuil de déclenchement des travaux une valeur de 2 f/L en première instance, applicable au 1/1/2020. Le HCSP préconise une évaluation de l’évolution des pratiques telles que recommandée dans ce rapport à échéance de 2020. En fonction des résultats de cette évaluation, la possibilité d’un abaissement supplémentaire du seuil pourrait être considérée ».
Citons, ensuite, une note de législation comparée publiée en septembre 2014, sous l’égide de la direction de l’initiative parlementaire et des délégations du Sénat (Sénat, Etude de législation comparée, n°245, 19 septembre 2014), intitulée : « La protection des travailleurs contre les risques liés à l’amiante, Allemagne – Italie – Pays-Bas – Royaume-Uni ». Il s’agit, certes, seulement d’une présentation de droit comparé devant faciliter la réflexion des parlementaires. Mais, on y découvre avec intérêt un tableau des principales dispositions de la directive 2009/148/CE du 30 novembre 2009, concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à une exposition à l’amiante pendant le travail, transposées par les différents Etats, objet de l’étude. La France n’a pas été le premier Etat assurant la transposition, celle-ci intervenant par un décret du 4 mai 2012 comme d’ailleurs au Royaume-Uni, puisque ce fut l’Italie par un décret législatif du 9 avril 2008 suivie ensuite de l’Allemagne grâce à un décret du 26 novembre 2010 qui furent les premiersEtats à assurer la transposition. Mais, comme le dit le dicton populaire, « Mieux vaut tard que jamais »…
Arrêtons-nous, enfin, sur le rapport annuel du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) pour l’année 2013 en dégageant de celui-ci la substantifique moelle selon l’expression utilisée par Rabelais dans le Prologue de Gargantua.
Attachons-nous, d’emblée, à la fonction d’indemnisation reconnue à cet établissement public. Le chiffre le plus symptomatique de l’utilité du FIVA, mais aussi de l’échec d’une politique de santé publique qui aurait dû s’inscrire dans l’anticipation et ainsi dans la prévention des conséquences de l’exposition à des poussières d’amiante, est celui, astronomique, du montant cumulé, depuis 2002, des sommes versées par le FIVA : 3,992 milliards d’euros. Pour la seule année 2013, ce ne sont pas moins de 469, 2 millions d’euros qui ont été versés, soit 20% de plus que l’année précédente. Le cancer broncho-pulmonaire représente, en 2013, le versement de 251 384 765 millions d’euros, le développement de mésothéliomes ayant entrainé le versement de 135 324 010 millions d’euros. Ainsi, la bombe à retardement, comme a pu être qualifiée l’exposition sans protection à des fibres d’amiante, n’en finit pas d’exploser tous les jours découvrant alors son lot de nouvelles victimes. Au demeurant, pour l’année 2013, ce sont 20 396 offres qui ont été envoyées par le FIVA, ce qui constitue le « résultat le plus élevé depuis sa création » (p.3). « L’année 2013 constitue la quatrième année de hausse consécutive du nombre d’offres faites aux victimes directes et le plus haut volume d’offres atteint depuis six ans » (p.14). Les victimes continuent à être majoritairement des hommes (91%) même si l’on constate un recul de cette proportion par rapport à 2009 (le pourcentage était alors de 94% d’hommes).
L’intérêt des rapports annuels du FIVA est aussi de présenter de manière catégorielle les chiffres, tant en ce qui concerne les demandes d’indemnisation que les offres. En premier lieu, la répartition par pathologies permet de constater une nette progression des malades touchés par des plaques pleurales (2253 victimes contre 1975 en 2012), suivies des personnes atteintes de cancers broncho-pulmonaires (802 contre 651 en 2012) puis des victimes de mésothéliomes (561 cas contre 393 en 2012). En second lieu, en ce qui concerne l’âge des victimes : « En 2013, la répartition par tranche d’âge des victimes demeure stable, les proportions ne variant pas significativement y compris pour les demandeurs ayant plus de 65 ans. Comme lors des dernières années, une majorité des victimes est âgée de 56 à 70 ans » (p.10). Cette dernière remarque rappelle évidemment l’une des caractéristiques de l’exposition à des poussières d’amiante : son long, sinon très long, délai de latence (pour le mésothéliome, l’âge au moment du diagnostic est de 71 ans, il est de 68 ans pour l’asbestose, 65 ans pour le cancer broncho-pulmonaire et 64 ans pour les plaques pleurales et les épaississements pleuraux). Le rapport du FIVA constate que la majorité des demandes (82,7% soit 4300) sont présentées par des victimes vivantes même si elle diminue d’1 point par rapport à l’année 2012. En troisième lieu, en ce qui concerne les ayants droit des victimes de l’amiante, le pourcentage de saisines du FIVA depuis 2011 est stable en ce qui concerne les parents (0,8% en 2013 contre 1,1% en 2012), les conjoints (15,5% en 2013 contre 15,8 en 2012), les frères et sœurs (5,6 en 2013 contre 5% en 2012), alors que la proportion d’enfants saisissant le FIVA a diminué de 2 points (34,5% contre 36,4% en 2012) pour la première fois depuis 4 ans. En revanche, une tendance à l’augmentation des actions portées par les petits-enfants devant le FIVA se fait jour (42,2% contre 39,8% en 2012). De tels pourcentages confirment que les fibres d’amiante constituent non seulement une bombe à retardement mais aussi une bombe à fragmentation… Enfin, la répartition géographique des victimes fait apparaître que « Pour la sixième année consécutive, les cinq mêmes régions regroupent le plus grand nombre de victimes connues au FIVA. Les régions Nord-Pas-de-Calais, Lorraine, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Haute-Normandie et Île-de-France concentrent 57,7 % des nouvelles victimes. La représentativité des régions est peu modifiée en 2013. La région Nord-Pas-de-Calais demeure l’entité géographique qui concentre le plus de victimes connues au FIVA » (p. 12).
Au surplus, le rapport du FIVA fait état d’une amélioration des délais de présentation d’une offre. Elle est désormais de 10 mois et 2 semaines en moyenne, ce qui est encore loin de l’obligation légale (6 mois). Plus précisément, en ce qui concerne les maladies bénignes, le délai de présentation est de 7 mois (soit 1 semaine de moins qu’en 2012 et 9 semaines de moins qu’en 2011) et de 7 mois et deux semaines pour les maladies les plus graves (contre 8 mois et 1 semaine en 2012 et 6 mois et 3 semaines en 2011). Quoi qu’il en soit, en dépit d’une satisfaction des instances du FIVA (« L’exercice 2013 est marqué par une amélioration des délais de décision sur l’ensemble des indicateurs de suivi » (p. 15), nous sommes encore loin de l’obligation, pour le FIVA, de présenter une offre dans les 6 mois… Néanmoins, une analyse plus fine des résultats présentés par le FIVA permet de constater que le dernier trimestre de l’année 2013 a connu une baisse significative du délai de présentation de l’offre pour les maladies malignes (5 mois et 2 semaines) et les affections bénignes (6 mois et 2 semaines). Si l’on peut regretter que le FIVA ne soit pas encore arrivé (mais, les derniers résultats tendent à nous montrer que nous n’en sommes pas très loin) à respecter l’exigence temporelle posée par le Parlement, on doit remarquer les efforts constants menés par celui-ci pour respecter le délai de 6 mois. Car, au final, s’il est important de respecter la loi, hiérarchie des normes oblige, même si ce n’est pas toujours le cas, l’important reste que le FIVA fasse une offre la plus rapide possible. On notera d’ailleurs, que de nombreux rapports passés du FIVA abordant cette exigence d’une offre dans les 6 mois, soulignent que le FIVA a décidé de se focaliser sur les victimes de pathologies les plus graves afin, qu’en priorité, elles obtiennent une offre dans le meilleur délai. Cela peut aisément se comprendre puisque leur espérance de vie est plus faible que pour ceux qui souffrent d’affections malignes, même si elles constituent une discrimination que la loi n’a pourtant pas consacrée… Reste la situation des ayants droit qui, certes, s’est améliorée depuis 2011 (passant de 13 mois à 11 mois) sans atteindre pourtant, en 2013, la limite légale de 6 mois. Néanmoins, là encore, l’année 2013 paraît constituer une étape importante puisque le 4ème trimestre est caractérisé par un délai de présentation de l’offre dans les 8 mois et 3 semaines (contre 13 mois et 3 semaines pour le 1er trimestre).
La même tendance à la réduction des délais apparaît en ce qui concerne, cette fois, les délais de paiement de l’offre par le FIVA puisqu’elle s’établit, toutes affections et victimes confondues, à 2 mois et 1 semaine (1 mois et 2 semaines pour les maladies bénignes, 1 mois et 1 semaine relativement aux maladies malignes, 2 mois et 2 semaines pour les ayants droit). Là encore, au cours du dernier trimestre 2013, les délais de paiement ont tous été raccourcis par rapport aux 3 trimestres précédents (cf p. 17).
Reste, au final, que l’action du FIVA est source de contentieux lorsqu’il a gardé le silence, refusé de faire droit à la demande ou qu’il a proposé une somme d’argent jugée trop faible par les victimes et (ou) leurs ayants droit, sans oublier qu’il existe un contentieux subrogatoire.
En ce qui concerne le contentieux lié aux offres ou au silence du FIVA, le taux de contestation est, pour 2013, de 8,4% soit 884 dossiers déposés contre 1128 en 2012 (le pic de contestation avait été atteint en 2009 avec 1738 recours). On assiste ainsi à une diminution régulière, depuis 2010, des contestations contentieuses même si cela s’explique notamment par des demandes d’expertise et par la complexité des dossiers entrainant des reports dans leur examen. Au demeurant, les cours d’appel de Rouen, Douai, Aix-Marseille, Paris, Metz et Bordeaux accueillent la majorité des recours (73%). L’ensemble des arrêts rendus par les Cours d’appel révèle que l’offre du FIVA n’est pas majorée dans 20 % des cas et que lorsqu’elle est majorée c’est dans 44% de 0 à 25% de plus en ce qui concerne les victimes (pour ce qui est des ayants droit, dans 40% il n’y a aucune majoration alors que dans 25% des cas, la majoration porte de 50 à 100% par rapport à l’offre du FIVA). Les raisons des recours sont non seulement la contestation du montant de l’offre par rapport au quantum de préjudice, mais aussi la progressivité de la valeur du point de rente d’incapacité retenue par le barème du FIVA, sans oublier les demandes de réparation des préjudices d’anxiété, suite aux arrêts rendus par la Cour de cassation en 2010. Suivi par certaines cours d’appel (C.A. Aix-en-Provence, 4 juillet 2013, RG 12/9199 : « Attendu que si l’indemnisation du préjudice d’anxiété relève de la seule responsabilité de l’employeur ou à défaut du mandataire ad hoc, sa demande ne relève pas des règles régissant la prise en charge du Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante ; Attendu que surabondamment il convient de préciser que si le préjudice d’anxiété consiste dans la crainte d’être malade, ce préjudice n’existe plus en tant que tel lorsque, comme en l’espèce Monsieur C. a déclaré une maladie liée à l’amiante, mais il est alors intégré au préjudice moral pris en charge par le Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante ; Attendu que ce chef de demande sera en conséquence rejeté », 25 septembre 2013, RG n° 2013/659 ; CA Caen, 18 janvier 2013, RG n° 11/00525 ; CA Rouen, 25 septembre 2013, RG n° 12/04205), le FIVA estime justement ne pas avoir à indemniser ce type de préjudice.
Pour ce qui est du contentieux subrogatoire, puisque le FIVA « est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d’en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes » (article 53 VI de la loi du 23 décembre 2000), le nombre de recours est en légère baisse en 2013 (981) par rapport à 2012 qui constituait le pic en termes de nombre de recours (1081). 901 actions en subrogation ont concerné les employeurs privés (896 au titre de la faute inexcusable/ 5 au titre de la reconnaissance d’une maladie professionnelle) et 80 des « employeurs publics » (Ministère de la défense, Ministère de l’Education nationale, Ministère de l’Ecologie, APHP, autres hôpitaux, Orange, La Poste, CNRS) qui, dans 64 cas ont, à l’amiable, conclu un accord avec le FIVA. Le taux de réussite des actions subrogatoires s’établie ainsi à 89%, ces actions ayant permis de rapporter 32,37 millions d’euros pour l’année 2013, ce qui constitue le « meilleur résultat obtenu au titre du contentieux subrogatoire depuis la création du FIVA » (p.35). Certes, cela ne permettra jamais aux financeurs du FIVA de rentrer dans leurs fonds, ce qui d’ailleurs n’est évidemment pas réaliste et n’a jamais été le but recherché par le législateur puisqu’il n’est pas toujours possible que le FIVA agisse en subrogation. Mais, la mise en œuvre des actions subrogatoires qui relèvent de modalités définies par le Conseil d’administration de ce dernier (en fonction de l’intérêt financier pour les demandeurs mais aussi notamment des chances de succès de l’action au regard des éléments de preuve contenus au dossier) qui estime, dès lors, ne pas devoir systématiquement les mener, constitue un moyen de rappeler que la mission premièredu FIVA (assurer l’indemnisation des victimes et de leurs ayants droit) ne doit pas faire oublier sa seconde mission (agir contre les responsables en récupération des sommes versées) afin in fine d’éviter de déresponsabiliser les auteurs des préjudices…
Ainsi, l’amiante qui fut encensée pendant des décennies pour ses diverses qualités, n’en finit pas de produire ses effets désastreux sur la santé avec ce qui ne peut pas, sinon ne peut plus, être considéré comme secondaire, un impact économique majeur tant pour les employeurs publics et privés que pour les financeurs du FIVA que sont, pour la plus grande partie, la branche Accidents du travail/maladies professionnelles de la Sécurité sociale et, de manière plus limitée, l’Etat. Face à cet enjeu de santé publique, les pouvoirs publics doivent poursuivre leurs efforts en facilitant la réalisation de travaux dans les quelques 3 millions de logements contenant de l’amiante où vivent près de 10 millions de personnes. Il semblerait, selon les informations dévoilées par RTL le 23 septembre 2014, que Sylvie Pinel, Ministre du Logement, de l’Egalité des territoires et de la Ruralité, soit sur le point de présenter un plan afin de permettre aux bailleurs de logements d’obtenir des prêts pour les aider à financer le diagnostic mais aussi le désamiantage. On l’aura ainsi compris, nous n’en avons malheureusement pas encore fini avec l’amiante…
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