20 ANS DE DEFENSE DES VICTIMES DES EXPERIENCES A PARTAGER, UNE DYNAMIQUE A PORTER COLLOQUE DE LA FENVAC HOTEL DE VILLE DE PARIS, 30 JANVIER 2015
Compte rendu du colloque par
Marie-France Steinlé-Feuerbach, professeur émérite, Directeur honoraire du CERDACC
Caroline Lacroix, maître de conférences, membre du CERDACC
La magnifique salle du conseil municipal de l’Hôtel de ville de Paris a accueilli le colloque organisé par la Fédération nationale des victimes d’attentats & d’accidents collectifs (FENVAC SOS catastrophes et terrorisme www.fenvac.com.) Le programme de ce colloque, prévu de longue date, ne pouvait qu’être bouleversé pour laisser une large place aux événements qui ont endeuillé la France au début du mois de janvier. Ce sont plus de 200 personnes qui sont venues assister à cette manifestation qui a fait une large place aux expériences vécues, tant par des victimes que par des personnalités confrontées à la gestion et au suivi de catastrophes collectives et d’attentats.
C’est par un film consacré à l’origine et aux objectifs de la FENVAC que débute la manifestation. Jacques BRESSON, Président fondateur de la FENVAC, revient sur l’accident de la gare de Lyon, du 27 juin 1988, qui a coûté la vie à son fils aîné. Ce n’est cependant pas l’accident en tant que tel mais les suites judiciaires de celui-ci qui l’avait conduit à regrouper, le 30 avril 1994, au sein d’une fédération, les victimes d’accidents collectifs. Les objectifs étaient clairs et n’ont pas varié depuis : entraide et solidarité, justice et vérité. Le film reprend avec les images des accidents collectifs qui ont marqué les débuts de la FENVAC (effondrement de la tribune de Furiani en 1992, noyades du Drac en 1995, avalanche des Orres en 1998), des interviews donnés par Jacques BRESSON pendant sesannéesde présidence de la fédération. Celui-ci retrace son combat contre la loi Fauchon du 10 juillet 2000, sa victoire lorsqu’il a obtenu pour la FENVAC le droit de se porter partie civile (art. 2-15 CPP) ; il rappelle aussi la collaboration entre la FENVAC, EDF et GDF pour améliorer la prévention des risques. Après avoir salué le travail effectué par ses successeurs, le président fondateur se réjouit de ce que la FENVAC soit devenue aujourd’hui un acteur incontournable.
Les discours d’ouverture sont prononcés ensuite par Anne HIDALGO, Maire de Paris, Pierre-Etienne DENIS, actuel Président de la FENVAC et Bernard CAZENEUVE, Ministre de l’Intérieur.Le maire de Paris dit tout son plaisir d’accueillir les participants à cette manifestation consacrant 20 années d’un projet porté inlassablement par les présidents de la FENVAC et Françoise RUDETSKI (créatrice en 1986 de SOS Attentas et depuis 2011 Déléguée au terrorisme de la FENVAC). Elle salue l’expertise acquise par la fédération qui a facilité le relogement des personnes frappées par les attentats qui ont marqué le début de cette année : « Une fédération comme la vôtre est un élément important comme interlocuteur des pouvoirs publics ».Anne HIDALGO ajoute que la République doit la solidarité aux victimes et que le mot fraternité doit prendre tout son sens.
Bernard CAZENEUVE souligne que les victimes, outre leur douleur, doivent affronter des problèmes juridiques et pragmatiques. Il précise que l’anniversaire de la fédération intervient dans un contexte particulier. Lors des attaques particulièrement graves, en raison de la symbolique des lieux et des populations visées, qui ont frappé la France, la FENVAC et l’INAVEM ont été sollicitées pour venir en aide aux victimes. La FENVAC a participé de manière exemplaire à la réponse à donner à ceux qui ont voulu mettre à genoux la France. Le Ministre, ancien maire de Cherbourg, rappelle les victimes de l’attentat de Karachi (B. Cazeneuve, Karachi. L’Enquête impossible, Calmann-Lévy, 2011) avant de rendre un hommage appuyé aux victimes et notamment aux trois policiers tués lors des attentats ainsi qu’au courage des policiers du RAID et de la BRI intervenus lors de ces tragiques événements. Il souligne le dévouement de la FENVAC, dont les membres sont discrets, efficaces et dignes. Il rappelle le rôle joué par la fédération, notamment au sein de la cellule interministérielle de crise du Quai d’Orsay, et rend un hommage appuyé à Françoise RUDETSKI qui a porté avec détermination la réforme du Fonds de garantie (FGTI) avec la reconnaissance d’un préjudice exceptionnel spécifique aux victimes de terrorisme. Bernard CAZENEVE revient ensuite sur la menace terroriste à laquelle la France est confrontée depuis plusieurs mois et présente l’arsenal de la lutte contre le terrorisme lequel comprend davantage de moyens donnés aux services de renseignement, des mesures contre la radicalisation mais sans une restriction des libertés qui donnerait raison aux terroristes, et la création d’une nouvelle incrimination individuelle « terrorisme ». Le ministre salue enfin le travail de François MOLINS et du parquet anti-terrorisme auquel il adresse reconnaissance et gratitude.
Pierre-Etienne DENIS dit tout son plaisir d’accueillir un public aussi nombreux et remercie le maire de Paris. Les membres de la FENVAC ne sont pas des héros mais des citoyens éprouvés qui doivent garder leur place dans la collectivité. Il y a 20 ans, jacques BRESSON et des victimes ont décidé de se lever face à une catastrophe judiciaire. En 2011, les victimes du terrorisme, orphelines de SOS Attentats, ont rejoint la fédération avec une mutualisation des moyens. Pierre-Etienne DENIS remercie Françoise RUDETZKI d’avoir accepté cette union.Les résultats sont là : reconnaissance des victimes et amélioration de leur prise en charge. Le président est fier de ce que la FENVAC puisse se mobiliser rapidement sur les grandes catastrophes (crash du Rio-Paris, Xynthia…). La FENVAC est une association a priori quelque peu étrange qui réunit des personnes d’origines diverses qui ont en commun des blessures au corps et à l’âme. Leur expérience particulière leur permet de trouver les mots justes, il y a une spécificité et une complémentarité de l’aide aux victimes. Etre une victime ne doit pas être un étendard mais une situation transitoire. Il existe au sein de la FENVAC une culture institutionnelle avec un partenariat avec les pouvoirs publics. Il insiste sur le fait que la fédération doit se faire parfois lobbyiste, raison pour laquelle, elle a créé une association européenne (http://www.sos-catastrophes.eu). Elle se doit d’être à côté et non à la place des victimes.
Stéphane GICQUEL, Secrétaire général de la FENVAC, est le modérateur de la table ronde « Regards croisés sur les besoins et attentes de victimes » qui rassemble des témoignages croisés de victimes et d’acteurs de terrain. La parole est d’abord donnée aux proches de personnes tuées lors des attentats récents.
Danièle GANEM, tante de Yohan COHEN, assassiné à l’âge de 22 ans par Amedi Coulibaly lors de l’attaque de l’Hyper Casher de la porte de Vincennes, fait état des besoins des otages toujours traumatisés. Au besoin de reconnaissance de la qualité de victimes s’ajoute celui de savoir ce qui s’est passé : pourquoi la communauté juive de France n’a-t-elle pas été suffisamment protégée ? La mère de Yohan, quelques jours après le décès de son fils a constaté qu’il n’y avait aucun dispositif de sécurité devant un autre magasin de la chaîne, ni devant une crèche juive ; elle a contacté le cabinet de Manuel Valls ce qui a conduit à des mesures de sécurité dans l’heure. C’est pour qu’un événement ne se produise plus que cette mère a trouvé la force d’agir. Certaines familles sont toutefois trop traumatisées pour avoir la volonté de savoir. Un autre besoin est celui de voir sanctionner les complices des terroristes. Il faut également une prise en charge médico-psychologique adaptée. La cellule mise en place était parfaite mais ce pose la question de l’après : vers quel psychiatre les familles pourront-elles s’adresser dès lors qu’il n’existe pas de liste de spécialiste ? Danièle GANEM demande à ce qu’une telle liste soit dressée.
A la suite, Maryse WOLINSKI relate comment elle a vécu la journée du 7 janvier et appris dans un taxi l’attentat contre Charlie Hebdo. Ce n’est que plus tard qu’elle a découvert le décès de son mari. Elle est présente au colloque car, avec Françoise RUDETSKY et Stéphane GICQUEL, elle a eu le sentiment de partager des notions de tolérance et de fraternité. Ils l’ont aidé à, peut-être déjà, commencer à évacuer le chaos qui est en elle. Elle sait ce qui s’est passé et se repasse la scène, elle ne veut pas en savoir davantage. La prise en charge psychologique a été faite le jour même, au Quai des Orfèvres elle a rencontré un psychologue qui l’a beaucoup aidée. Tout au long de son parcours depuis l’attentat, elle n’a rencontré que des gens fraternels.
François MOLINS, Procureur de la République près le TGI de Paris, évoque les décisions à prendre dans l’urgence et la nécessité d’avoir des réflexes car se posent de multiples questions : celle de la compétence juridictionnelle selon qu’il s’agit ou non d’un attentat, celle du service de police auquel confier l’enquête, l’organisation d’une cellule de crise au parquet (35 magistrats ont été mobilisés pendant 20 jours), missionner l’association d’aide aux victimes compétente et recueillir les informations sur les victimes et leurs familles. Stéphane Gicquel interroge Monsieur MOLINS sur les bonnes pratiques dont le pôle accident collectif pourrait profiter (la loi no 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles a crééles « Pôles accidents collectifs » ; le décret n° 2014-1634 du 26 décembre 2014 fixant la liste et le ressort des juridictions interrégionales spécialisées en matière d’accidents collectifs, a désigné les tribunaux de grande instance de Paris et Marseille, qui sont déjà spécialisés en matière de santé publique). Selon François MOLINS, les pôles permettront de mieux suivre les dossiers d’instruction et de réduire les délais. Le retour d’expérience des événements du début d’année indique qu’il faut surmonter les susceptibilités institutionnelles et tirer les dispositifs vers le haut. Il faut également veiller aux articulations entre les CUMP (cellule d’urgence médico-psychologique) et les associations d’aide aux victimes, renforcer la problématique « victime » dans les procédures d’enquête. De manière pragmatique, il conviendrait de décharger un gendarme pour lui permettre d’établir la liste des victimes.
Le domaine d’intervention des CUMP est précisé par le docteur Thierry BAUDET, Directeur de la CUMP 93, mobilisée la deuxième semaine après les attentats de janvier. Le premier objectif est d’accueillir les victimes de manière fraternelle. Il faut procéder à l’évaluation individuelle de chaque personne, procéder rapidement à un « tri » pour détecter les urgences, puis prendre date pour la continuité du traitement jusqu’à ce qu’un relais soit pris. La temporalité est centrale. Il explique également que les médecins doivent intervenir avec les services de polices scientifiques lors des recueils d’ADN lorsque des identifications sont nécessaires (ex : lors du crash du Rio-Paris) et être en lien avec les services d’aide aux victimes.
Présidente de l’association, « AH-5017 – Ensemble » (crash de l’avion d’Air Algérie au Mali le 24 juillet 2014), Sandrine TRICOT met en exergue le particularisme des accidents aériens pour lesquels les victimes sont pour la plupart géographiquement dispersées ce qui complique la prise en charge psychologique. Elle a appris le crash en passant de manière fortuite devant un poste de télévision et il lui a encore fallu attendre 48 heures pour qu’une réunion des proches soit organisée. Pour Madame TRICOT, cette manière de procéder pose un réel problème. Il n’y a pas eu davantage de prise en charge lors de la restitution des corps qui s’est prolongée sur plusieurs mois. Lorsque dix personnes d’une même famille décèdent dans un crash, il est indispensable d’avoir une prise en charge adaptée. Elle souligne l’importance de faire le point avec l’ensemble des intervenants régulièrement et de prévoir des temps de concertation avec les victimes.
Jean-Paul TROADEC, directeur du BEA (2009-2013) aborde la question de savoir comment élaborer un climat de confiance entre le BEA et les victimes durant l’enquête ; une communication claire et sobre ainsi que la priorité d’une communication par un canal direct avec les victimes sont des pistes. Il rappelle aussi les difficultés supplémentaires auxquelles les victimes sont confrontées lorsque les enquêtes sont menées par les autorités étrangères. Enfin, il insiste sur le rôle positif de facilitateur de la FENVAC.
Jean-Pierre VERDON, père de Philippe VERDON, otage exécuté au Mali pendant l’opération militaire, évoque l’accompagnement des familles d’otages. Pour pouvoir poursuivre la route, il faut des solidarités de personnes compétentes et c’est là qu’interviennent les associations. Il remercie particulièrement Madame RUDETSKY et la cellule de crise du Quai d’Orsay. Il émet deux suggestions. La première va à l’Etat qui devrait informer les familles de l’existence d’associations, la seconde va à la FENVAC qui pourrait rédiger un vade mecum sur ce qu’il faut savoir et ce que l’on peut faire.
La matinée se poursuit avec une vidéo présentant l’association « Otages du Monde ». Un projet « SOS Otages » unit l’association à la FENVAC. Il est souhaitable que soit établi un bilan des traumatismes. Une prise d’otage est une rupture, on voit sa vie s’échapper et le retour à une vie normale après la libération est très difficile, également pour les familles.
Après de longs échanges entre la salle et les intervenants, Georges FRANCOIS de l’association « Sourires des anges » (accident d’Allinges, 2 juin 2008), rappelle qu’il était avec son épouse dans le car comme accompagnateur des enfants. Il revient sur le suicide d’un collègue organisateur de la sortie. Monsieur FRANCOIS distingue trois temps dans la genèse de l’association. Passé le temps de la sidération, il a fallu gérer l’argent reçu ainsi que les avances de fonds demandés par des avocats, puis a émergé l’idée d’un mémorial. La création d’une association a permis non seulement de clarifier les aspects financiers mais aussi d’apprendre la fraternité.
Dans une vidéo, Jacques TOUBON, Défenseur des droits, relève que la coïncidence particulière entre l’anniversaire de la FENVAC et l’actualité donne une importance accrue à la fédération.
L’après-midi de la manifestation, était d’abord consacré à une première table intitulée « Faire face à la crise » présidée par Guillaume DIDIER, Directeur associé chez Vae Solis. Patrick LAGADEC, chercheur spécialiste des crises, évidemment tout désigné pour intervenir dans la table ronde, estime que l’on a beaucoup appris ces dernières années sur les crises et les questions à poser en cas de survenance de l’une d’elles. Néanmoins, la nature des crises a évolué et nous sommes maintenant dans des megachocs (P. Lagadec, Du risque majeur aux megachocs, Ed. Préventique, sept. 2012), un changement d’échelle, on assiste à un décrochage systémique et on vit dans un environnement volatil qui perd ses repères. Face à ces constats,d’autres visions sont à mettre en place, il faut de nouvelles capacités pour gérer les crises et la capacité à se poser des questions car « il y a des angles morts ». On passe d’un paradigme de réponse à un paradigme de questions. Il est donc capital de savoir piloter en monde inconnu, de pouvoir mettre en oeuvre des cellules de crise en mesure de faire face en temps réel à des questions comme : de quoi s’agit-il ? Quels sont les pièges ? Quels sont les acteurs ?
Il faut fournir des pistes d’intervention pragmatiques, fabriquer de l’intelligence en temps réel, être capable de détecter les failles et accompagner les initiatives de la société civile. Patrick LAGADEC revient enfin, pour illustrer ses propos, sur la gestion de l’ouragan Sandy (P. Lagadec, « L’ouragan Sandy – Eléments et questions pour un retour d’expérience », Préventique n° 126, nov.-déc. 2012).
La coordination de l’action judiciaire lors des événements de début d’année a été réalisée par François FALLETTI, Procureur près la Cour d’appel de Paris, à qui il est demandé de répondre à la question : « la justice a-t-elle pour rôle la prise en charge des victimes ? » La réponse est bien entendu positive et Monsieur FALLETTI détaille les actions qu’il faut mener pour que la justice remplisse cette mission. Lorsque la crise survient, il y a trois niveaux d’actions immédiates. Il faut tout d’abord, pour le respect de l’ordre public, tracer un périmètre de sécurité. Il convient aussi de mener l’enquête judiciaire, des investigations ont été coordonnées sur le ressort de plusieurs tribunaux grâce au Parquet de Paris et à la cellule de crise mise en place. Il faut encore se préoccuper des victimes lesquelles apportent des éléments de preuve incontestables. Une prise en charge rapide est un impératif. François FALLETTI relève que la cellule du Quai d’Orsay a admirablement fonctionné, et que du côté de la justice il faut tirer des leçons sur la manière de coordonner. Il souligne l’utilité d’un référent « victimes » dans les services de police.
Il est suggéré de revoir les directives du guide (un guide méthodologique intitulé « La prise en charge des victimes d’accidents collectifs », réalisé en 2004 suite à un groupe de travail du CNAV présidé par Claude LIENHARD a été réédité en mars 2007) avec une réécriture pour une structuration plus conséquente. Il faut être présent dans la durée car l’action de justice se poursuit au delà de la crise. Grâce aux pôles accidents collectifs, il sera possible de développer de bonnes pratiques assurant un meilleur suivi des dossiers.
Seul ministre en charge du droit des victimes, Nicole GUEDJ se demande si son ministère était de l’affichage ou une vraie volonté. Son Secrétariat d’Etat aux victimes a été utile car il a mis en place une politique globale du droit des victimes ainsi que des outils. Elle rappelle les difficultés qu’elle a rencontrées pour arriver à mettre en place le dispositif alerte enlèvement. Elle souligne avec force que sans les associations, le droit des victimes ne serait rien.
Comment faire face à la crise lorsqu’on est diplomate ? Didier LE BRET, Directeur du centre de crise du Ministère des affaires étrangères expose les éléments essentiels de gestion. Il faut se préparer pour être sûr de ses ressources humaines, avoir un organigramme de personnes sur lesquelles on peut s’appuyer. Il convient de ne pas négliger les aspects matériels – réserves de vivre, de sacs de couchages – et de disposer d’une bonne base de données pour connaître le nombre de ressortissants à prendre en charge. La chaîne de commandement doit être connue pour simplifier la vie de tout le monde et le chef, c’est-à-dire l’ambassadeur, doit être connu de tous. Une dimension clé est la communication, tant aux proches qu’aux médias. Il n’est plus acceptable d’attendre d’avoir toutes les réponses avant de communiquer avec les proches, il faut communiquer un bilan provisoire. Après la crise, il est indispensable de faire un retour d’expérience, c’est la seule manière d’avancer et d’améliorer les procédures.
Le monde de l’entreprise est également présent à ce colloque. Après un message de Guillaume PEPY, Stéphane VOLANT, secrétaire général de la SNCF, s’exprime pour la première fois sur l’accident de Brétigny. Monsieur VOLANT était cadre d’astreinte le 13 juillet 2014, jour de la catastrophe. C’est d’abord la sidération car si on a l’habitude de la gestion de crises, on n’a pas celle des catastrophes. C’est humainement lourd. Il faut créer une cellule de crise, avertir les politiques, les administrations, le préfet. Il faut également ouvrir un numéro vert – merci à l’INAVEM !-. Il faut également gérer la presse. Ensuite, il faut s’installer dans le temps, celui des enquêtes et des expertises. Stéphane VOLANT est également partisan d’un guide des bonnes pratiques sans faire pour autant du prêt-à-porter.
Le premier atelier se termine sur l’intervention du colonel Frédéric LELIÈVRE, de l’Etat-major de la zone de défense et de sécurité de Paris relative à l’anticipation de la crise. Depuis 2004 (Loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile), les dispositifs ORSEC sont souples et ouverts. Des outils spécifiques ont été mis au point comme un système d’identification standardisé avec un code barre qui permet de consolider au fur et à mesure les informations sur les différentes victimes. Se pose encore la question des victimes qui rallient elles-mêmes les hôpitaux pour lesquelles a été mis au point un système SINUS. Les outils techniques doivent être au service de l’homme.
C’est par un hommage à Françoise RUDETSKY que Jean-Paul DELEVOYE, Président du conseil économique, social et environnemental, commence son allocution en insistant sur le fait qu’il ne faut jamais sous-estimer la capacité d’une personne à changer le monde.Il évoque ensuite les médias qui veulent mettre sur la place la sacralisation de la douleur des victimes. Nous devons être attentifs à ce que le sentiment national est aujourd’hui fragile, notre société a besoin de se retrouver.
Le modérateur de la dernière table ronde intitulée « Quels facteurs de résilience pour les victimes ? » est Laurent VIBERT, Président de NITIDIS. Il se souvient de l’accident de la Gare de Lyon, il avait 24 ans lorsque, comme pompier de Paris, il était présent sur les lieux. Pour Maître Frédéric BIBAL, avocat au barreau de Paris, la FENVAC apporte aux professionnels l’expérience du collectif. Il n’est pas possible de maîtriser tout seul de tels dossiers, les avocats aussi ont besoin de travailler en collectif. La place de la victime au procès pénal n’est pas seulement celle d’un participant. A côté de l’accusation et de la défense, la procédure française donne à la victime une troisième place parfois contestée. La FENVAC a démontré qu’elle était pleinement capable d’occuper cette troisième place.Quant à l’indemnisation, il souligne l’incongruité du terme de réparation intégrale. Partisan du refus de la catégorisation des préjudices et défenseur des préjudices spécifiques, Maître BIBAL renvoie à la décision de Thonon-les-Bains qui personnalise bien les préjudices (Trib. corr. Thonon-les-Bains, 26 juin 2013 ; C. Lienhard et M.-F. Steinlé-Feuerbach « Accident collectif, collision entre un train et un car scolaire à Allinges : un jugement remarquable », JAC n° 136, juil. 2013).
Carole DAMIANI, Docteur en psychologie et chargée de mission à l’INAVEM, s’appuie sur deux études pour affirmer que le trauma psychologique est beaucoup plus intense en cas d’événements collectifs que pour des accidents individuels ; en ce qui concerne les personnes endeuillées, le deuil est plus compliqué dans 80% des cas.Elle estime que le système français de l’intervention d’urgence est perfectible. Les études sont claires : il y a un sentiment d’abandon après la première intervention. Il faut perfectionner l’articulation avec les CUMP. Dimanche dernier, les victimes étaient encore « dedans », il faut différer certaines échéances comme l’information sur l’indemnisation que les proches ne peuvent entendre dans l’immédiat.
Dans les points à améliorer figurent encore l’annonce des décès, les certificats médicaux ainsi que l’accompagnement social afin d’éviter une victimisation secondaire par l’administration.
Quel est le regard d’un grand groupe quand on est dans la cartographie des acteurs d’une catastrophe ? Telle est la question posée à Katia CHERON, Secrétaire générale de GrDF. Sa réponse est qu’il faut tirer le retour d’expérience vers le haut pour améliorer les choix futurs. Même après un procès, il est important de pouvoir échanger avec les associations de victimes sur les questions de sécurité. En ce qui concerne l’explosion au gaz de Mulhouse (M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Explosion de la rue de la Martre : responsabilité de la personne morale (trib. corr. Mulhouse, 8 juin 2009) », JAC n° 96, juill. 2009) un comité de suivi avait été mis en place. Grâce à la collaboration avec des associations et des avocats, il a été possible d’établir un cadre avec un référentiel adapté. Madame CHERON a été le représentant de GDF au moment de l’instruction, elle note qu’un tel rôle ne s’apprend pas dans les livres…
Président du TGI de Thonon-les Bains, Benjamin DEPARIS, relate son expérience d’un procès de catastrophe (Trib. corr. Thonon-les-Bains, 26 juin 2013, préc.) et salue Claude LIENHARD, directeur fondateur du CERDACC. Il délivre des messages pour la préparation d’un tel procès. Selon lui, il est préférable d’avoir un excès d’écoute qu’un excès de froideur. Il a voulu que le procès ait lieu au tribunal car il ne souhaitait pas traiter de la mort de jeunes enfants dans une instance délocalisée. Finalement, il a opté pour la visio-conférence. Monsieur DEPARIS émet une petite réserve sur les pôles en ce qui concerne la phase de jugement car il faut laisser à la juridiction locale la possibilité de juger. Le droit des accidents collectifs est un droit spécifique et le président en charge d’un tel procès doit savoir qu’il n’aura plus de vie personnelle. Pour sa part, Benjamin PARIS a été pris six mois par le procès, et il lui a ensuite fallu six mois pour s’en remettre. Il évoque encore la solitude du délibéré. On dépasse la fonction traditionnelle de l’action de juger avec des délits de droit commun.
Nathalie RIOMET, Chef du SADJAV – Ministère de la Justice, estime qu’il faut faire la prévention de la maltraitance. Il y a une exigence de professionnalisme et l’Etat doit mettre sur le territoire des associations pluridisciplinaires. Le concept de résilience doit guider les actions du SADJAV qui a l’obligation de veiller à une prise en charge adaptée avec l’aller-retour entre le collectif et l’individuel, chaque situation est unique.
Le point de vue du philosophe sur la résilience est donné par Jean-Baptiste PREVOST. Selon lui, il convient de rappeler une donnée fondamentale : la souffrance d’autrui ne peut qu’être devinée, l’empathie sera toujours en extériorité par rapport à la douleur qui fait effraction dans le vif du sujet. Pour lui, il existe deux considérations élémentaires : une certaine humilité est requise et il existe une frontière entre la compréhension et le vécu, entre la conscience et l’existence. Pour la victime, il n’est pas possible de faire comme si cela n’avait pas eu lieu, l’expression « faire son deuil » n’est pas exacte. L’homme a inventé le droit pour réparer le désordre. Un des facteurs cruciaux de la résilience est la reconnaissance du statut de la victime. Le droit du dommage corporel, utopie réalisée, introduit au coeur de la réparation, l’idéequ’il faut tout faire pour donner à la victime les moyens de mener une existence comme si l’accident n’avait pas eu lieu. La réparation du préjudice est le premier vecteur fondamental de la résilience.
Accueillant Christine TAUBIRA, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, Marie-Claude DESJEUX, vice-présidente de la FENVAC, développe les objectifs de la fédération pour les années à venir. Cette journée est plus une rencontre qu’un anniversaire. Madame DESJEUX, confie que c’est un cheminement un peu étrange qui l’a menée jusqu’ici aprèsla prise d’otage du site gazier d’In Amenas en Algérie. Grâce à la FENVAC, elle essaie de donner du sens à l’horreur tente de rester socialement au côté des vivants.Dès demain matin, une quarantaine de personnes commenceront à écrire la feuille de route pour l’avenir. Il faut réfléchir à des souffles nouveaux, assurer une veille. Il y a des travaux à mener à des niveaux pertinents sur le partenariat public/privé, renforcer les dispositifs de situation de crise, développer une formation pluridisciplinaire ainsi que des relais en région.
La clôture de la manifestation est assurée par Christine TAUBIRA qui commence par rappeler la décision-cadre de 2008 pour la prévention du terrorisme (Loi n° 2008-134 du 13 février 2008 autorisant la ratification d’une convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme)avant de se réjouir d’avoir la chance de disposer de partenaires de qualité comme la FENVAC avec laquelle elle souhaite pouvoir continuer à travailler. Il faut réagir à la barbarie par les armes du Droit et de la Démocratie et mieux développer l’aide aux victimes car nombre d’entre elles ne sont pas prises en charge. Revenant sur les pôles « accidents collectifs », elle précise qu’ils fonctionneront sur la base d’une exigence de technicité et de proximité.
La FENVAC était présente dans la cellule de crise après les attentats, Madame le Garde des Sceaux exprime son immense estime et son très grand respect.