Le cadre juridique du renseignement

Comptes rendus du COLLOC de l’AFDS

THEME 4 : LE CADRE JURIDIQUE DU RENSEIGNEMENT

Le thème du renseignement va être abordé ici et Monsieur WARUSFEL s’est penché plus particulièrement sur son cadre juridique. 

Il y a un balancier entre policiers et militaires et nous constatons aussi une charnière entre public et privé.

En effet, il semble que les relations entre le droit et les activités de renseignement ont été dominés par des idées simplistes qui étaient que les logiques privés et publiques étaient différentes.

Le renseignement d’Etat se trouvait amener à utiliser des moyens dérogatoires, voire illicites mais ceci était compensé par la raison d’Etat, la prérogative reconnue dans les Etats démocratiques pour mener des questions de défense.

Concernant le renseignement privé (c’est-à-dire la collecte d’informations à finalité stratégique par un acteur privée), le problème juridique ne pose pas puisque cela est légal (car ça concerne la collecte de données publiques, ouvertes à tous).

Il semble que ce raisonnement, pour le renseignement public comme privé, soit dépassé aujourd’hui car on est rentré de plein pied dans la société de l’information, de l’immatériel (hyper information, hyper profusion d’informations…) et ce phénomène qui a commencé il y a 20 ans va croître à l’avenir.

L’activité de renseignement est dopée par la numérisation d’un côté (surinformation, BIG DATA, le cloud computing : tout le monde met ses données dans un espace virtuel transnational) et la mondialisation de l’autre (décloisonnement des marchés, évolution des technologiques, des conflits augmentent de manière permanente, des protections légales sont créées pour des activités publiques…).Plus l’information est abondante, plus les outils pour y accéder sont importants.

Les techniques d’acquisition de renseignements sont des activités généralisées qui nécessitent, sur le marché, la sélection et le traitement de l’information.

L’idée selon laquelle la donnée est libre d’accès n’est pas juste.

Qui dit litige, dit norme pour les trancher. On est en train de s’engager dans un mouvement qui va nous amener à construire un droit public du renseignement mais aussi peut-être l’apparition plus discrète et désordonnée d’un droit privé de renseignement. Il faut les articuler puisque les deux mondes du public et du privé se côtoient.

La dimension publique du renseignement s’est accrue, tant au niveau interne qu’externe. L’élément déclencheur politiquement, c’est l’affirmation, en 2009, du législateur de la notion de défense / sécurité intérieure / stratégie de défense nationale.

On définit alors la sécurité nationale par la capacité d’identifier les menaces (c’est-à-dire que le renseignement est la base de la sécurité nationale). Sa reconnaissance par le législateur est importante.

Sur le plan externe, on est contraint par une évolution de la jurisprudence européenne notamment depuis l’arrêt de 1978 (arrêt Klass) puisque la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît la prérogative publique de sécurité nationale pour autoriser des restrictions de liberté (articles 8 et 10).

La Cour insiste sur une justification expresse de l’autorité législative, par le législateur national (les termes doivent être clairs et explicites, contrairement à l’arrêt Popescu de Roumanie rendu en 2004) qui doit tirer sa justification dans un texte légal, respecterle principe de proportionnalité et un contrôle pour limiter les abus doit être mis à la disposition du citoyen.

En 1991, la France est de nouveau condamnée par la CEDH en matière d’écoutes téléphoniques qui pose le principe que la simple disposition du Code pénal qui établit tout pouvoir pour le juge doit respecter le motif d’intérêt public et le contrôle de proportionnalité.

Le gouvernement, à l’époque, a tiré de cet arrêt a priori fondé, la nécessité de développer une législation qui légalise les interceptions judicaires (ce que les dispositions pénales ont précisés par la suite) et l’organisation et la justification des interceptions de sécurité.

La pression de la CEDH a été en 1991 un motif pour engager un processus de légalisation du renseignement, même si le sujetrestait tabou à l’époque.

Il y a également la nécessité de recourir à un encadrement juridique du renseignement.

En France,comme dans d’autres pays démocratiques, les services de police judiciaire (notamment spécialiséspour lutter contre les formes de criminalité organisée) se sont inspirés du renseignement militaire, du renseignement extérieur.

Nous avons, depuis 1970-1980, des services de police judiciaire qui utilisent des moyens d’interception, d’infiltration, de surveillance. Nous voyons alors apparaître le développement du renseignement dans le monde judicaire.

Les anglo-saxons appellent cela « faire de la police sur la base du renseignement » puisque l’on n’attend pas que l’infraction soit commise pour intervenir mais on rassemble des signaux.

C’est établit et on a aujourd’hui des êtres hybrides (services sécurités, un décret de 1994 a créé la DGSI, la Direction Générale de la Sécurité Intérieure, qui est un mélange de sécurité nationale et judiciaire. On est dans une situation de mixité et de transversalité.

Le renseignement dans le but judicaire rend inévitable la judiciarisation du renseignement.

En 2009, la Cour d’appel de Paris a relaxé les retenus de Guantanamo en annulant leurs condamnations car, pendant l’audience, on a su qu’ils avaient été interrogés en dehors du Code de procédure pénale (les renseignements ont été utilisés ensuite pour les condamner). Si les services de renseignements récoltent des informations, cela doit alors toujours se faire dans un cadre légal.

Il y a eu une accélération récente du processus de régularisation, en 2008, quand le livre blanc de défense et sécurité nationale a prévu un futur encadrement avec une définition législative du renseignement par les agents qui seront chargés de cela.

Le processus de reconnaissance législative du renseignement a franchi beaucoup d’étapes et nous sommes à la veille d’une étape décisive. Par exemple, en 2011, la loi Loppsi II, loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, a créé trois articles dans Code de procédure pénale (sur les conditions de témoignage anonyme des agents de renseignement), dans le Code pénal (pour réprimer l’anonymat…) et dans le Code de la défense (sur l’utilisation d’empreinte).

Aujourd’hui, on a la perception d’une loi sur le renseignement annoncée par les politiques. Un rapport prévoit les éléments qui constitueront l’ossature de la loi future, préconisera une définition générale des missions du renseignement (il se pourrait que la loi concerne les activités de renseignement et pas les services de renseignement, ce qui est plutôt bien).Du coup, une activité secondaire de renseignement serait encadrée.

Ensuite, la loi devrait définir précisément des techniques derenseignement considérées comme nécessitant un encadrement légal (puisque intrusif avec une atteinte à la liberté de la vie privée…).

Puis, il y aurait des procédures de déclaration ou d’autorisation par une autorité administrative indépendante de contrôle de renseignement.Il faudrait prévoir des procédures de recours spéciales (pas de droit commun sinon il y aurait un problème du secret de défense).

Il serait nécessaire d’articuler des mécanismes de contrôles administratifs indépendants.

On est en attente d’une proposition de loi sur le sujet, qui est d’ores et déjà appuyé par le Conseil d’état depuis septembre 2014 (la proposition 40 tend à définir le régime juridique du renseignement, les propositions41 et 42tendent à créer un droit de signalement).

On est à la veille d’une grande loi sur le renseignement qui permettrait de rattraper notre retard.

Parallèlement au processus de législation durenseignement public, il y a un processus moins cohérent et moins clair mais qui va dans le même et qui concerne les pratiques de renseignement privés.

Un nouveau sujet que le Conseil constitutionnel a tenté de censurer concerne la définition de l’activité d’intelligence économique dans le but de sécuriser l’intervention des prestataires au profit des entreprises privées. Le Conseil a dit que l’imprécision de la définition et de l’objectif méconnaissait le principe […] des délits et des peines. C’était une approche partielle. Ce sujet est revenusuite à la montée des litiges privés.

Le secret des affaires, quant à lui, a subi deux rebondissements récents :

D’une part, la commission de l’Union européenne a soumis une proposition de directive sur le secret des affaires pour prévoir une protection (elle n’est pas encore votée et n’a pas été soumise au parlement européen).On se trouvera sûrement dans un droit européen harmonisé du secret des affaires. Cela montre que le droit de l’Union européenne ne s’interdit pas de se pencher sur le droit de la sécurité.

D’autre part, le législateur français a parallèlementréfléchit au sujet et a déposé à l’Assemblée nationale en juillet 2014 une proposition de la loi parlementaire sur le secret des affaires (le but étant d’établir un cadre cohérent). Cette propositionenvisage une protection pénale du secret des affaires (et donc une incrimination d’actes de violation du secret des affaires) mais aussiune disposition civil qui disposerait que« nul ne peut obtenir une information protégée au titre du secret des affaires en violation des mesures de protection prises pour en conserver le caractère non public, ni utiliser ou communiquer l’information ainsi obtenue » : cet article deviendrait l’article L 151-2 du Code commercial. Il y aurait en conséquence des indemnisations autorisées par le juge civil.

Ce texte contribuera à un droit du renseignement en établissant une limite que les pratiques privées du renseignement ne font pas.

Dans l’approche du droit public, les règles positives habilitent l’acteur public à mener des opérations alors qu’en droit privé, c’est le contraire, l’opérateur privé peut faire tout ce que la loi ne lui interdit pas.

Si on ajoute et coordonne le public et le privé, on obtiendrait un cadre cohérent et un droit de l’information.

Dans l’affaire Snowden, c’est un prestataire privé qui a travaillé pour le public (il y a eu là une combinaison vicieuse du privé/public). 

L’expression « renseignement privé » ne fait pas l’unanimité.

C’est d’abord l’affaire de l’Etat mais il y a des intérêtsà faire converger les deux dispositifs.